Interview du ministre estonien de la Culture

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Indrek Saar, ministre de la Culture de la république d’Estonie, a accepté de consacrer du temps au festival en répondant à une interview destinée au dossier spécial Boréales du Livre échange.

Retrouvez ci-dessous son interview en intégralité :

  • Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis que votre pays a retrouvé son indépendance. Quelles sont, à votre avis, les disciplines artistiques qui se sont les plus développées?
    Notre indépendance est profondément ancrée dans la tradition historique des sociétés de théâtre et de chœurs. C’est sans aucun doute pourquoi nous aimons autant le théâtre et la musique. Avec une population de 1,3 million d’habitants, nous faisons partie des nations se rendant le plus souvent à des concerts et au théâtre. Les chiffres de l’année dernière recensent près d’un million d’entrées au théâtre, plus de deux millions pour des concerts et quelque 3 millions d’entrées au cinéma. Concernant les musées, il y en a 256 et nous avons 3,3 millions visiteurs par an, ce qui est le meilleur score en Europe par nombre d’habitants.
    Aussi, la littérature estonienne se développe bien. En 2018, l’Estonie, accompagnée de la Lituanie et de la Lettonie, sera pays d’honneur du London Book Fair. C’est une chance unique d’accroître la popularité de la littérature estonienne qui s’exporte grâce à la traduction qui permet de toucher ceux qui ne parle pas notre langue. Notre objectif à long terme serait, entre autres,  que le livre d’Andrus Kivirähk « L’homme qui savait la langue des serpents » se vende en aussi grand nombre en France qu’en Estonie – c’est un but qui devrait être atteint sans trop tarder.
    Nous avons aussi eu de remarquables résultats dans l’industrie du film ces dix dernières années. Les films qui ont fait état de coopération internationales ont été nommés aux Oscars et pour aux Golden Globes.
  • L’Estonie a-t-elle une forme d’art traditionnelle autour de laquelle les arts se développent ? Comme la mythologie ou le Kalevala en Finlande ?
    Nos racines puisent sans conteste dans la tradition orale du chant, plus spécifiquement les chœurs. Nous appelons notamment la période précédant la restauration de l’indépendance la « Révolution chantante ». Fait unique en Europe, 10% de notre population totale se réunit pour assister au Festival Estonien de la Chanson.  La musique est aussi une sorte de carte de visite pour promouvoir l’art de notre pays, comme par exemple avec Arvo Pärt qui est, pour la cinquième année consécutive, le compositeur le plus joué au monde.
  • L’Estonie est l’invité d’honneur du festival cette année et présidera le premier semestre de l’Union Européenne en 2018, à l’occasion du 100ème anniversaire de son indépendance. La diplomatie culturelle est-elle un axe de développement majeur ?
    Bien que l’Estonie n’ait pas de stratégie officielle concernant sa diplomatie culturelle, promouvoir l’Estonie à l’étranger fait partie de la politique culturelle du pays adoptée en 2014 et valable jusqu’en 2020.
    Au Ministère de la Culture, nous agissons dans différentes directions pour développer les relations culturelles internationales, y compris la diplomatie, les échanges et l’export culturels. Notre réseau de conseillers opérant dans les ambassades à Berlin, Moscou, Helsinki, Londres, Paris, Bruxelles et New York est d’une aide indispensable pour les échanges interculturels – ses missions principales étant de promouvoir la culture estonienne et d’initier ou de réguler les projets de coopérations avec les partenaires locaux.
    Dans notre travail, nous sommes guidés par la nécessité d’aider les créateurs à développer des contacts et coopérations avec le monde culturel international mais aussi d’informer les Estoniens des succès de représentations de la culture estonienne à l’étranger.  Les accords inter-gouvernementaux et les programmes peuvent satisfaire les besoins politiques, mais les contacts directs sont les clés de la durabilité.
    En ces temps difficiles, le rôle de la culture dans la politique étrangère gagne de plus en plus d’importance. C’est un merveilleux outil pour surmonter une divergence politique. Elle permet en effet de préparer le terrain pour des collaborations futures dans d’autres domaines. De plus, on ne devrait pas sous-estimer le pouvoir de la culture en termes de sécurité et de défense. En tant que petit pays avec une histoire complexe, nous voyons la culture comme un des plus importants outils pour transmettre notre histoire, notre identité et ce que nous faisons. Plus le monde nous connaît, plus nous lions des amitiés et plus nous nous sentons en sécurité.
    Quant à 2018, le Ministère des Affaires Etrangères et le Gouvernement Estonien en corrélation avec des partenaires locaux sont en train d’établir un programme de célébration des 100 ans de notre République ainsi que de notre présidence de l’Union Européenne, programmation qui inclura également des événements culturels à l’étranger.
  • Quel évènement de notre programme attendez-vous le plus ?
    Tout d’abord, je souhaiterais remercier Les Boréales et particulièrement  Jérôme Remy pour nous avoir donné l’opportunité de présenter notre culture pour cette édition du festival.  M. Remy a réalisé un travail formidable pour établir un programme qui donne une vision large de la culture estonienne. J’attends d’ailleurs avec impatience de me rendre au festival pour profiter de ce programme réjouissant.  Bien sûr je conseille d’assister au débat Estonie : hier, aujourd’hui, demain qui aura lieu lors du weekend littéraire. Parlant littérature, c’est aussi une bonne chose qu’un auteur estonien tel que Mehis Heinsaar ait la chance de rester dans la région pour écrire. Nous trouvons en effet les programmes de résidences toujours très utiles.
    Concernant les autres projets, je vous invite à vous rendre aux expositions de design, qui donne une idée de nos produits élégants et astucieux, et d’architecture permettant de voir d’intéressants exemples de réhabilitation de l’ancienne architecture. Les expositions photos sur la culture de l’Île de Kihnu et de la région de Setomaa seront également d’un grand intérêt, ces deux cultures traditionnelles faisant partie de la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Je recommande aussi les films estoniens présentés lors du festival et déjà diffusés dans les cinémas de France. De plus, l’Estonie est reconnue pour sa musique, plus particulièrement dans les domaines du classique et des chœurs, mais on y trouve également des étoiles montantes dans le jazz et dans la pop. Bien que nous ne puissions montrer 150 ans de traditions de festivals de danse et de musique ni faire venir les nombreux chœurs primés aux Grammy jusqu’à Caen, j’espère vraiment que le public aura tout de même un bon aperçu de la scène culturelle estonienne.
    Pour finir, j’espère que tout le monde trouvera quelque chose à son goût parmi ce riche programme. Nous sommes d’ores et déjà impatients de retravailler ensemble en 2018.
  • Comment définiriez-vous votre pays en cinq mots clés ?
    Les cinq mots clés pour moi seraient, foyer, famille, amis, nature immaculée et passion pour la culture. Concernant le dernier point, avec ses 1,3 million d’habitants, l’Estonie veut vraiment  éprouver, créer et prendre part à la culture.
  • Quelle image personnelle avez-vous de la France ?
    Un des jours fériés les plus importants en Estonie est le solstice d’été. Les estoniens se déplacent  jusqu’en campagne ou vers leurs maisons secondaires avec leurs famille ou amis, pour se retrouver autour d’un feu, aller au sauna et faire la fête jusqu’au matin. Pendant les huit années passées en tant que membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, je célébrais le solstice d’été à Strasbourg. Nous avons réussi à y former une symbiose entre la communauté estonienne et nos amis français réunissant alors deux cultures. Le feu de camp et les chansons estoniennes en dégustant de la bonne nourriture et testant d’excellents vins français. Ces longues nuits d’été près de Strasbourg forment l’image parfaite de ma vision de la France et de ce que j’y ai vécu.
    Étant un ancien acteur devenu spectateur de théâtre dévoué, je dois également mentionner le festival de théâtre d’Avignon, que j’aimerais aller voir chaque année.